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SANTÉ & PRÉVOYANCE

ÉTUDE

Les enjeux de la prévention des troubles psychiques au travail

Crise sans précédent à bien des égards, la pandémie de COVID-19 a aussi conduit à briser le tabou qui entourait jusqu’ici le sujet de la santé mentale en France. Certes, le sujet n’était pas nouveau : la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie en 2018 et le Plan Santé au Travail 3 (PST3) de 2016-2020 avaient déjà permis aux pouvoirs publics d’inscrire la santé mentale comme une problématique de premier plan. Cependant, la médiatisation de la dégradation de l’état de santé mentale des étudiants d’une part, et la tenue en septembre 2021 des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie d’autre part, ont illustré sa mise à l’agenda médiatique et politique. La santé mentale a désormais toute sa place auprès du grand public : témoignages audiovisuels aux heures de grande écoute - à l’instar de l’intervention retentissante de Stromae au JT de 20H sur TF1 (9 janvier 2022) -, comptes Instagram et podcasts consacrés aux troubles psychiques ou encore applications smartphones dédiées au self-care. La santé mentale a quitté progressivement le tabou pour s’inscrire comme un sujet capable d’intéresser et d’inclure le grand public, et c’est tant mieux.

La santé mentale, une problématique de santé publique

Le terme même de santé mentale permet de dépasser la vision purement pathologique associée à celui de "psychiatrie". En effet, la définition de la santé mentale donnée par l’OMS renvoie à "un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté". La santé mentale s’inscrit dans un continuum et nous concerne toutes et tous. L’OMS l’affirme : pas de santé sans santé mentale. Si le terme santé mentale permet une approche davantage holistique des problématiques psychiques, il ne doit pas gommer la variété des troubles psychiques (bipolarité, schizophrénie, troubles addictifs, états anxieux, etc.) dont l’impact, le traitement et les approches de prévention pertinentes peuvent diverger.

La santé mentale apparait donc comme un véritable enjeu de santé publique. Ainsi, Santé Publique France estime qu’en 2021 au moins 3 millions de Français souffraient de troubles psychiques sévères. A l’échelle mondiale, 1 personne sur 4 est ou sera amenée à être touchée par des troubles psychiques au moins une fois dans sa vie, selon l’OMS. La crise du COVID-19 n’a fait qu’amplifier la prévalence des troubles psychiques. L’enquête COVIPREV menée par Santé Publique France estimait que 34% de la population adulte en France présentait un état anxieux ou dépressif fin février 2021. Ce "boum" s’explique par les effets croisés du contexte anxiogène intrinsèque à une pandémie, des contraintes liées aux mesures sanitaires (isolement) et également au virus lui-même dans la mesure où avoir été infecté accroit le risque de développer des troubles psychiatriques[1].

Les enjeux de la santé mentale et de sa prévention seront donc de plus en plus importants dans les années à venir.

L'importance de la prévention en santé mentale

Les conséquences d’une santé mentale dégradée (peut-être moins "visibles" que des troubles de santé physique) pour les personnes touchées incluent le plus souvent une souffrance psychologique intense, ainsi qu’une désinsertion sociale et professionnelle. Qui plus est, les troubles psychiques sont associés à une réduction importante de l’espérance de vie des individus, estimée par l’IRDES à 16 ans en moyenne chez les hommes et 13 ans chez les femmes[2]. La Fondation Fondamental le rappelle : cette surmortalité est avant tout liée à la présence plus fréquente de comorbidités somatiques (maladies cardiovasculaires notamment) et à un déficit d’accès au soin plus qu’à un risque de suicide (certes plus élevé).

La bonne prise en charge des troubles psychiques est donc critique. Pourtant, en 2012, l’OCDE faisait ce cruel constat : près de la moitié des personnes atteintes d’un trouble mental grave et plus de 70 % de celles qui présentaient un trouble modéré ne recevaient aucun traitement relatif à leur pathologie. Et lorsqu’elles sont prises en charge, elles le sont en général tardivement : à l’issue d’une errance diagnostique d’en moyenne 15 ans selon la Fondation Fondamental[3].

La prise en charge précoce constitue donc un défi permettant de mieux identifier les patients à risque, de réduire la symptomatologie et de limiter les aggravations dramatiques pour le patient et coûteuses pour le système de soins. Le poids des dépenses assumé par l’assurance maladie est en effet conséquent : la santé mentale (maladies psychiatriques ou associées à une prescription de psychotropes) constitue le premier poste de dépense (23 Mds d’euros en 2019) avec pour poste principal les séjours hospitaliers, en établissement psychiatriques notamment.

Face à de tels enjeux, il apparait prioritaire d’agir en faveur d’une plus grande intégration des actions de prévention dans la préservation de la santé mentale. Cet enjeu collectif, réaffirmé par les pouvoirs publics à l’issue des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, se heurte aujourd’hui à plusieurs freins à surmonter : un sous-investissement dans la prévention primaire commune à l’ensemble des problématiques de santé et un contexte culturel encore marqué par une trop forte stigmatisation des problématiques de santé mentale. Ce contexte culturel est loin d’être secondaire : dès le début des années 2000, l’OMS identifiait la stigmatisation comme l’obstacle le plus important à la bonne prise en charge des troubles mentaux.

Membre du Comité de direction Groupe AG2R La Mondiale en charge de la stratégie, du digital, du marketing et de la relation client, Isabelle Hébert témoigne :

Il est important de comparer la France avec les autres pays, notamment les États-Unis. Le sujet de la santé mentale y est historiquement moins tabou que chez nous. La langue anglais distingue deux termes : Mental Health et Behaviour Health. Cela illustre bien une notion de continuum avec des différences de sévérité. En France, la thématique émerge depuis le COVID. Nous abordons le sujet de manière plus ouverte depuis la crise sanitaire car l'urgence de la situation tant pour les jeunes que pour les actifs et les seniors devient particulièrement forte.

Sur ce plan, la France, accuse du retard par rapport aux pays anglophones. Ce retard a été observé sur le lancement de campagnes nationales de communication sur ces enjeux et est encore constaté sur l’expérimentation de dispositifs novateurs (par exemple fondés sur le vécu des personnes et permettant une approche différenciée selon les troubles mentaux[4]).

Un rôle à jouer pour les organismes complémentaires auprès des entreprises

Les enjeux culturels du sujet de la santé mentale sont également perceptibles dans le cadre de l’entreprise. La stigmatisation y est encore prégnante : des troubles psychiques y sont associés à des dysfonctionnements, déficits de performance et de compétences ou encore à des relations difficiles avec les collègues[5].

Par ailleurs, le coût global des troubles psychiques pour la société va bien au-delà des simples dépenses de l’assurance maladie. Si les entreprises participent au financement des dépenses de santé (via les contrats collectifs santé et prévoyance), elles subissent de plein fouet les coûts indirects estimés par l’OCDE à 26 Mds d’euros pour la France. Ces coûts sont liés notamment à la baisse de productivité des personnes en souffrance psychiques, à la désorganisation liée à l’absentéisme (les troubles psychiques représentent la première cause d’arrêt maladie de longue durée et la première cause d’invalidité[6]) et à la gestion des turn-over.

La prévention en santé mentale au travail prend donc tout son sens, et fait l’objet d’offres variées.

La crise sanitaire a en effet joué un rôle de catalyseur sur l’offre de solutions liées à la santé mentale. Notons qu’avant la crise, des solutions orientées RH et engagement collaborateur proposaient déjà des services permettant de suivre des indicateurs de bien-être psychique et de réduire l’exposition aux risques psycho-sociaux.

Côté santé, outre une prise de conscience sur ce sujet, la crise a permis le déploiement accéléré de solutions digitales, et en particulier la téléconsultation. Dès lors, une offre florissante de plateformes proposant lignes d’écoute, téléconsultations de santé mentale ou encore coaching, s’est développée en direction des entreprises[7]. D’autres offres positionnées davantage autour du bien-être mettent en avant des pratiques telles que la sophrologie, la méditation pleine conscience ou encore des conseils nutritionnels sous la forme d’ateliers, de séance de coaching ou encore d’applications de self-care. Les offres les plus complètes intègrent un large spectre de fonctionnalités allant de l’auto-questionnaire permettant d’évaluer l’état de santé mentale de l’utilisateur jusqu’à l’orientation vers des professionnels de santé mentale et la proposition de téléconsultation, en passant par des modules self-care.

Pour mieux accompagner leurs entreprises adhérentes, les OCAM (organismes complémentaires d’assurance maladie) enrichissent leurs offres avec ce type de solutions. Et pour cause, ils sont traditionnellement bien placés pour expérimenter des dispositifs innovants dans le domaine de la prévention permettant le déploiement de solutions ciblées pour les populations couvertes. Leur action apparait ainsi complémentaire à l’action des pouvoirs publics.

[1] Taquet M. et al., 2021 – 6-month neurological and psychiatric outcomes in 236 379 survivors of COVID-19: a retrospective cohort study using electronic health records.

[2] Coldefy et al., 2018. Personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée.

[3] Fondation Fondamental et Institut Montaigne, 2014. Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français.

[4] Citons les travaux de Margot Morgieve et ses collègues concernant la création d’une web-enquête inspirée des démarches pré-existentes dans les pays anglophones et permettant d’évaluer les représentations sociales associées à différents troubles psychiatriques suite au visionnage d’un témoignage.

[5] Laberon et al., 2017. Représentations du "trouble psychique" et adéquation à l’emploi perçue par des employeurs du milieu ordinaire de travail en France

[6] Urceco – Credes, 2012

[7] 7 mai 2021 – Maddyness, "Santé mentale : le boom des solutions pour prendre soin des salariés"

Pour aller plus loin :

  • Contactez Marie Devaine (mdevaine@yce-partners.fr) ou Cécile Waquet (cwaquet@yce-partners.fr) pour accéder à l'intégralité de notre étude : "Santé mentale au travail : le nouveau défi".
  • Consultez le compte-rendu de notre matinale, en partenariat avec Le Cercle Lab (News Assurances Pro), dédiée à la protection de la santé mentale au travail en présence de dirigeants du monde de la protection sociale, de la santé et des start-ups.

Crédit photo : Elisa Ventur sur Unsplash

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