← retour

SANTÉ & PRÉVOYANCE

INTERVIEW

Interview avec M. Eric Belfayol, chef de la MICAF

                     Lutte contre la fraude : la coordination au sein du secteur public                                              

 

Créée par décret du 15 juillet 2020 et placée sous l’autorité du ministre chargé du budget par délégation du Premier ministre, la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) a pour compétence la coordination des administrations et organismes publics en matière de la lutte contre les fraudes aux finances publiques (prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux, prestations sociales) aux niveaux national et local. Elle a aussi pour compétence la lutte contre la fraude aux aides publiques

 

Dans le cadre de son groupe de travail sur la lutte contre ces fraudes, YCE Partners s’est entretenu avec M.Eric Belfayol, chef de la MICAF depuis sa création.

 

YCE Partners : Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux de la MICAFen matière de lutte contre la fraude ? Observez-vous des évolutionssystémiques dans les types de fraudes ou les comportements frauduleux ?

 

Depuis sa création en 2020, la MICAF joue un rôle pivot dans la stratégie opérationnelle interministérielle de lutte contre les fraudes, quels que soient leur nature ou leur secteur d’activité. Elle a été créée pour construire des stratégies interministérielles et opérationnelles autour de fraudes identifiées comme particulièrement significatives.

 

L’action de la MICAF s’articule autour des Groupes Opérationnels Nationaux Anti-Fraude (GONAF) qui réunissent les administrations centrales compétentes, les services d’enquête spécialisés administratifs et judiciaries et l’autorité judiciaire, et plus spécifiquement les parquets spécialisés. Cette approche permet d’assurer une réponse cohérente et efficace, en croisant les expertises sectorielles et juridiques.

 

Les GONAF sont chacun dédiés à un domaine spécifique de lutte contre la fraude, répartis en 10 secteurs et pouvant être structuré en 3 grandes typologies :

1. 5 GONAF mobilisés sur la fraude aux finances publiques : fraudes à la TVA, fiscales et sociales commises via le e-commerce ou des sociétés éphémères en lien avec la DGFiP, travail illégal et fraudes fiscales connexes en lien avec la DGT, fraudes à la résidente en lien avec la DSS ;

2. 3 GONAF positionnés sur des enjeux transverses : fraudes documentaires et à l’identité, adaptation des moyens d’enquête aux enjeux du numérique, Amélioration du recouvrement des créances liées à la fraude aux finances publiques ;

3. 2 GONAF orientés sur les thématiques spécifiques de la contrefaçon et du trafic de tabac

 

On y observe des fraudes transverses qui impactent les sphères sociales et fiscales. A ce titre, le recouvrement des créances sociales et fiscales est un enjeu majeur sur lequel la MICAF travaille en étroite collaboration avec la DGFiP, l’Urssaf Caisse nationale et la CNAF notamment l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est un enjeu majeur. Cette action coordonnée vise à permettre aux caisses de protection sociale d’exercer efficacement leurs droits au recouvrement et lutter contre la fraude documentaire et la transmission de fausses pièces.

 

Concernant les évolutions systémiques, une nette professionnalisation des pratiques frauduleuses est observée, en particulier dans le domaine de la santé. Ces fraudes sont désormais bien plus organisées, avec, par exemple, la création de sociétés éphémères permettant de détourner les fonds perçus vers des comptes bancaires situés dans des juridictions lointaines et difficilement traçables. Cela s’observe également dans le traffic illicite de faux médicaments qui prend de l’ampleur.

Dans une société de plus en plus numérique, est constaté un recours croissant à des techniques telles que le phishing, la captation de données ou encore l’usurpation d’identité.

 

Par ailleurs, la montée en puissance des démarches en ligne a élargi le spectre des fraudes, allant de délits de droit commun comme les escroqueries à des fraudes particulièrement techniques comme par exemple des infractions spécifiques liées à l’introduction dans des systèmes d’information. cela s’est illustré notamment pendant la crise sanitaire, avec la falsification de pass sanitaires. La fraude aux médicaments est aussi un axe fort de copération anti-fraude.

 

Alors que la fraude aux audioprothèse à augmenté de 440% depuis 2023, quels constats faites vous sur la fraude en santé ?  

 

De manière générale, les dispositifs sans reste à charge pour les usagers sont particulièrement exposés aux fraudes, notamment lorsqu’ils ciblent des publics fragiles, en particulier les personnes âgées, à l’image du dispositif 100% santé. Ces publics sont souvent confrontés à une multiplicité d’intermédiaires, ce qui accroît les risques de dérives. Des exemples marquants incluent les audioprothèses ou encore les travaux de rénovation énergétique, régulièrement visés par des réseaux frauduleux organisés.

Dans ce contexte, la MICAF veille à ce que ces dispositifs soient conçus dès l’origine avec une analyse spécifique des risques de fraude, afin de limiter les opportunités de détournement. Ce principe de vigilance ne se limite pas au champ sanitaire, mais s’applique aussi à d’autres domaines où les aides publiques sont importantes.

 

C’est précisément dans cette logique préventive qu’intervient la loi relative à la « lutte contre toutes les fraudes aux aides publiques » portée par Thomas Cazenave et récemment adoptée. Sous réserve de l’analyse du consil constituionnel à venir, ce texte autorise la suspension temporaire du versement d’une aide publique en cas de simple suspicion de fraude. Le texte s’inscrit dans la continuité des réformes anti-fraude engagées depuis 2018, et s’ajoute aux dispositifs anti-fraude aux aides publiques existants.

 

Depuis 2021, les résultats de la lutte contre les fraudes de la branche maladie ont presque triplé : quelles sont les interlocutions entre la MICAF et l’Assurance Maladie dans ce domaine ?

 

La MICAF agit en étroite coordination avec l’Assurance maladie sur cette thématique, mais aussi  les douanes, les autorités judiciaires et la MSA. Cette action conjointe est essentielle pour lutter contre la contrefaçon, les fraudes documentaires (fausses pièces d’identité, devis fictifs,…) ou encore les vols de données personnelles.

 

Par ailleurs, laMICAF dispose d’une cellule de veille spécialisée dans la détection et l’analyse des nouveaux risques de fraude créée par décret du 26 juillet 2023. Cette cellule joue un rôle clé d’anticipation, en particulier dans les dispositifs publics gratuits ou fortement subventionnés, qui attirent des réseaux criminels structurés.

 

YCE a engagé des travaux depuis 2024 sur l’articulation entre l’Assurance Maladie et les complémentaires santé dans la lutte contre la fraude. Quel regard portez-vous sur cette dynamique de collaboration public/privé et quelles conditions de réussite pour faire avancer ce sujet ?

 

Dans le cadre de la lutte contre ce type de fraude, l’Assurance Maladie est identifiée comme un acteur majeur. Elle joue un rôle central dans la détection des premiers signaux de fraude, en croisant les comportements des usagers avec les données de remboursement et d’activité.

Aujourd’hui si les complémentaires santé peuvent informer l’assurance maladie d’éléments disponibles sur la fraude, il n’existe pas à l’inverse de cadre juridique permettant l’échanges de données en la matière entre acteurs publics et privés. Ce cadre est indispensable pour  fonder la coopération et garantir la légitimité des échanges, la sécurité juridique des acteurs impliqués et la protection des données. Or, dans de nombreux cas, la sphère privée est insuffisamment intégrée dans ces dispositifs. Une meilleure prise en compte des acteurs privés dans l’élaboration de ce cadre est donc un enjeu central pour renforcer l’efficacité des partenariats. Des propositions dans ce sens ont récemment été faites. Mais la coordination entre l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et l’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) soulève des enjeux juridiques sensibles. Pour accélérer cette coopération, il pourrait être d’intérêt qu’une expression de besoins soit portée au niveau des acteurs posant précisément une typologie claire des données à partager, des volumétries concernées et l’apport en valeur en conséquences des échanges.

 

Enfin, deux logiques permettent de prioriser l’action publique. La première repose sur l’intérêt stratégique du sujet, c’est-à-dire sa connexion avec d’autres priorités comme la santé publique, la protection des données ou la lutte contre les réseaux criminels. La seconde logique repose sur la volumétrie : plus le nombre de cas ou les montants concernés sont importants, plus la réponse nationale coordonnée est justifiée.

Quelles perspectives identifiez vous à moyen terme concernant la lutte contre les fraudes en santé ?

 

L’un des enjeux majeurs dans la lutte contre la fraude tient au décalage temporel important entre la commission des faits et le dépôt de plainte. Ce décalage nuit à l’efficacité des actions judiciaires. Il est donc essentiel que les services en charge de ces dossiers puissent disposer de moyens d’enquête réactifs, notamment par le biais d’outils de ciblage performants.Le recours au data mining constitue à ce titre un outil efficace pour identifier plus rapidement les cas suspects (ex : faux documents, usurpation de comptes bancaires ou de SIRET), en complément des méthodes classiques de ciblage.

 

La MICAF œuvre à organiser et mutualiser les outils d’analyse et de détection, afin que chaque acteur du dispositif puisse y accéder selon ses besoins et compétences. L’objectif est de rendre ces outils facilement mobilisables par l’ensemble des services concernés.

 

Pour que chaque opérateur puisse agir efficacement, il est également indispensable d’être le plus réactif possible, avec le renforcement des prérogatives d’enquête, notamment en matière de cyber-enquête, domaine devenu central face à des fraudes de plus en plus numérisées. L’un des vecteurs essentiels de la fraude repose sur l’exploitation des vecteurs numériques : il est donc crucial de gagner en réactivité dès les premières phases du traitement. Cet enjeu de réactivité implique concrètement de bloquer rapidement les versements des aides en cas de suspicion étayée de fraude. De nouvelles prérogatives d’enquête dont ont été portées par la MICAF et adoptée audition, droit de communication, droit de communication, cyber-enquête).  Ces nouvelles prérogatives sont un levier prometteur pour accélérer des enquêtes mixtes entre ces organismes et services d’enquêtes judiciaire d’initiative ou à la demande des Parquets.

La structuration de la lutte contre la fraude au sein de l’Assurance Maladie tout comme au sein de la CNAF via, par exemple, le déploiement au niveau régional de cyber-enquêteurs, s’appuie aujourd’hui sources nouveaux textes qui apportent un cadre juridique renforcé et mieux adapté aux défis actuels.

 

Par ailleurs, l’enjeu de formation des agents est déterminant pour assurer une montée en compétence adaptée aux nouvelles typologies de fraude.

 

 

 

Repères :

 

Télécharger le PDF
Prévention des troubles psychiques au travail

Les enjeux de la prévention des troubles psychiques au travail

Anthony Salic, Associé fondateur, YCE Partners

Loi industrie verte : les acteurs de l'assurance bien décidés à enrichir leurs offres | Anthony Salic, YCE Partners, Associé fondateur

Entretien avec David Gallier

Cycle IA et recrutement – l’IA générative au service des conseillers France Travail, des demandeurs d’emploi et des entreprises

Emploi et handicap : du milieu protégé vers le milieu ordinaire. Entretien avec Théophile Verdier, responsable de l'ESAT l'Arche des Trois Fontaines