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RETRAITE & AUTONOMIE

INTERVIEW

Interview Pierre Mayeur et Patrick Aubert : quelles perspectives à la suite des discussions des partenaires sociaux sur la réforme des retraites ?

A l'approche de la fin du conclave sur les retraites, nous avons interrogé Patrick Aubert, statisticien et économiste à l'Institut des Politiques Publiques (IPP) et spécialiste des retraites et Pierre Mayeur, Associé YCE Partner et ancien DG de la CNAV sur leur vision des grands enjeux et perspective à l'issue des échanges des partenaires sociaux.

1. Comment analysez-vous ces discussions entre partenaires sociaux autour de la retraite ?Quel est l'impact du départ de deux organisations syndicales et d'une organisation patronale sur les négociations ?

 

[P. Aubert] Les discussions ont pour objectif de trouver une issue à la situation actuelle concernant la réforme des retraites mais le Parlement garde le pouvoir quant à l’abrogation de la réforme ou non. Il n’est donc pas étonnant que certains partenaires sociaux se soient retirés des débats. Toutefois, les échanges continuent, même s’ils restent compliqués. Il n’est pas certain qu’une solution soit trouvée.  

 

[P. Mayeur] Il est important de rappeler le contexte politique : un gouvernement -le gouvernement Barnier- a été censuré en raison de sa proposition de revalorisation des retraites.

Au-delà des désaccords profonds entre les organisations patronales et syndicales, certains partenaires sociaux estiment qu'il est judicieux de poursuivre les discussions, non pas nécessairement pour parvenir à un accord complet, mais plutôt pour aboutir à un relevé de décisions permettant de faire avancer les choses. Cela éviterait une situation d'instabilité politique, ce qui ne semble pas souhaité, en particulier par les organisations patronales.

Par ailleurs, lors des discussions, des appels ont été lancés pour de futurs accords interprofessionnels, et l’ensemble des organisations seront alors invitées à revenir sur de telles négociations.

 

2. Quels sont les thèmes qui ont émergé depuis le début des discussions entre les partenaires sociaux ? Peut-on maintenant parler d’un diagnostic partagé ? 

 

[P. Aubert] Il n'y a pas de communication officielle pendant le conclave. Les informations disponibles aujourd'hui sur le contenu des échanges proviennent uniquement des informations communiquées par la presse.

De façon générale, il n’y a pas un nouveau sujet qui s’imposerait et viendrait débloquer les discussions. Les organisations syndicales souhaitent une hausse des cotisations pour financer le système de retraite, ce que les organisations patronales réfutent. Certains sujets émergent quand même, en marge. C’est le cas de la capitalisation, qui n’avait pas été abordée dans les discussions initiales mais qui est portée parles organisations patronales.

 

[P. Mayeur] Il est encore prématuré d'évoquer un point de consensus. La capitalisation a été introduite dans le débat, comme l'a justement souligné P. Aubert.

C’est également le cas de la question du financement de la protection sociale ainsi que de la pénibilité : il existe peut-être une fenêtre pour un relevé de décisions actant le maintien de l'âge légal (64 ans) en contrepartie d’une extension d’un dispositif pénibilité.

L'élément le plus surprenant est la volonté exprimée par certains partenaires sociaux de s’investir sur le régime de base, à l'image du régime complémentaire Agirc-Arrco. À ce stade, la forme que cela pourrait prendre reste floue. Cela s'explique par le fait que le système des retraites est quelque peu bloqué dans un rythme de décision annuel, en raison du rôle de la LFSS qui revalorise annuellement l'indexation des pensions. On pourrait envisager un accord quadriennal, similaire à celui de l'Agirc-Arrco, permettant de fixer des paramètres valables pour quatre ans. Cependant, il faudrait clairement définir les responsabilités de chacun et l'articulation avec le législateur. Ces discussions rappellent le principe de la CNRU (Caisse Nationale de Retraite Universelle), où les partenaires sociaux avaient la possibilité de piloter le régime, sachant qu'il s'agissait d'un système à points.

 

3. Quelles sont les pistes actuelles pour équilibrer le système de retraite par répartition d’ici à 2040 ?

 

[P. Aubert] On peut écarter les solutions magiques et les hypothèses macroéconomiques alternatives (comme une forte croissance économique) qui ne peuvent pas être simplement décrétées par le gouvernement. Il existe trois principaux leviers : les cotisations, le niveau des pensions de retraite et les paramètres qui déterminent l’âge de départ effectif.

Concernant l’âge, il semble difficile d’aller plus loin, à court voire moyen terme, que ce qui est fait actuellement(64 ans), car il s’agit d’un levier qui a été utilisé récemment et qui est à l’origine des mécontentements.

Il reste donc les taux de cotisation et le niveau des retraites, avec la question de la sous-indexation des pensions, qui a causé la chute du précédent gouvernement mais dont il faudra bien être prêt à rediscuter. Un des problèmes de fond aujourd’hui est la dépendance du système à la croissance. Avec les règles d’indexation actuelles, pour équilibrer le système, il faut miser sur une croissance suffisante, mais les hypothèses de croissance ont souvent été plus optimistes que la réalité. Pour un système plus résilient et équilibré, il faudrait que l’indexation des retraites dépende du taux de croissance des salaires. Nous connaissons les solutions techniques, mais celles-ci font généralement peur, car elles peuvent conduire à des revalorisations inférieures à l’inflation certaines années, difficiles à assumer politiquement. Mais sauf croissance exceptionnelle, il faudra bien, tôt ou tard, aborder frontalement la question de la sous-indexation des retraites.

Un équilibre pourrait probablement être trouvé en combinant les deux leviers : ajuster l’indexation et augmenter les cotisations. Il est cependant crucial de ne pas se limiter à une perspective budgétaire, mais de recentrer la réflexion sur l’objectif de niveau de pensions, et in fine de niveau de vie des retraités que l’on vise. Cela devrait conduire à rouvrir aussi le débat sur le calcul de la pension à la liquidation, et à envisager de réduire le taux de remplacement à ce moment pour éviter des niveaux de pensions trop élevés qu’il faudrait ensuite modérer par des sous-indexations en cours de retraite.

[P. Mayeur] Je partage cet avis. En 1987, nous sommes passés de l'indexation des retraites sur les salaires à une indexation sur les prix, ce que la loi a confirmé en 1993 et ce qui constitue la mesure la plus importante pour l'équilibre du système de retraite au cours des 30 dernières années.

Ces dernières années, nous avons assisté à une évolution moindre des salaires que celle des prix, ce qui a conduit à une revalorisation importante des retraites, simplement en appliquant un principe qui à l’origine devait être « vertueux ».

Nous pourrions envisager une indexation sur les salaires moins un pourcentage, comme le fait l'Agirc-Arrco. Mais le dernier rapport de l'Insee sur l'évolution des salaires montre que nous assistons à nouveau à une augmentation des salaires plus élevée que celle des prix : est-ce le moment de changer le système ?

L'enjeu central est de savoir comment sortir de ce principe de revalorisation annuelle des retraites.

Concernant l'âge de départ à la retraite, je suis d'accord pour dire que nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin. Observons toutefois que 40% des personnes peuvent partir à la retraite avant l'âge de 64 ans.

 

4. Dans le débat public et avec l’actualité, la notion de retraite par capitalisation est davantage évoquée. Qu’en pensez-vous ? Quelle serait l’articulation possible avec le régime de base et complémentaire ? Quelles seraient les modalités de fonctionnement (rôle des entreprises ?)

 

[P. Aubert] La capitalisation dont on parle dans les débats, c'est la capitalisation collective obligatoire. La capitalisation existe déjà depuis un moment sous forme individuelle ou collective d’entreprise et non obligatoire, via les PERP, PERCO, PER, etc.  Le vieillissement de la population réduit les rendements de la répartition, ce qui peut, par comparaison, faire apparaître les rendements de la capitalisation plus intéressants. Dans le débat, on entend en particulier souvent mentionnés les rendements des actions sur longue période. Cependant, il faut être prudent dans la comparaison de ces rendements, d’une part car la mise en place d'un régime de capitalisation généralisé peut avoir un impact sur ces rendements, et d’autre part car il existe une forte demande pour un système de retraite très protecteur, ce qui conduirait sans doute à une demande sociale pour une capitalisation investie dans des actifs plus prudents, et donc de moindre rendement.

Si l’on souhaite créer un nouvel étage de retraite obligatoire par capitalisation, la question est surtout de savoir comment procéder, étant donné que nous avons un système de répartition important qui nécessite des financements. Une solution serait d'ajouter un étage de cotisations supplémentaires. Avec la capitalisation, les bénéfices sont dirigés vers les personnes qui cotisent, ce qui peut faciliter l'acceptation politique de l'augmentation des cotisations.

Si nous choisissons de ne pas le faire dans le cadre d'une hausse des cotisations, mais plutôt en substituant une partie des cotisations actuelles par des cotisations fléchées vers un système de capitalisation, nous retirerions des ressources du système actuel, qui est déjà en difficulté. Il n’y aurait alors guère d’autre solution que de réduire sensiblement les pensions des retraités actuels, ce qui semble difficile à envisager politiquement.

Si je devais faire un pari sur la forme que prendrais un nouvel étage de retraite par capitalisation, je pencherais pour une capitalisation de petite ampleur par une augmentation des cotisations, mais je ne pense pas que cela permettrait d'équilibrer le système, même à long terme. Par exemple, le RAFP (Retraite Additionnelle de la Fonction Publique) a commencé à se développer il y a 20 ans et reste une petite partie de la pension des fonctionnaires. Selon moi, l'essentiel de la capitalisation resterait sur les produits facultatifs actuels.

[P. Mayeur] La France se distingue par son système de retraite quasi exclusivement basé sur la répartition, contrairement à d'autres pays où la capitalisation joue un rôle plus important. Bien sûr, l’introduction de la capitalisation ne résoudra pas à elle seule les problèmes du système de retraite dans son ensemble.

L'intérêt de la capitalisation ne réside pas uniquement dans ses avantages comptables, mais aussi dans ses implications politiques. C’est un dispositif fléché pour les jeunes. En effet, leurs cotisations serviraient à financer leur propre retraite plutôt que celle des autres, envoyant ainsi un signal de réconciliation des Français avec leur système de retraite.

Si on a une conjoncture économique correcte dans les années à venir, il y aura des excédents pour certains régimes de retraite. Ils pourraient servir à financer une augmentation des pensions de retraite, ou bien ils pourraient être réaffectés au régime de base. En cela, donner davantage de pouvoir aux partenaires sociaux sur les paramètres du régime de base pourrait avoir du sens. Ces excédents pourraient également servir en partie à financer la mise en place d’une capitalisation collective.

 

5.Quelles opportunités, cette réforme offre-t-elle aux acteurs de la retraite supplémentaire ? Ou aux dispositifs d’épargne, quels qu’ils soient (assurance vie, etc.) ? 

 

[P. Aubert] Si les discussions actuelles débouchaient sur le développement de la capitalisation obligatoire, il s’agirait sans doute d’une capitalisation collective avec un fonctionnement similaire à celui de l’Agirc-Arrco. Il n’offrirait donc pas spécialement d’opportunités autres que celles existantes aux bancassureurs. L’articulation avec les produits existants actuellement se poserait tout de même. Pour les rendre attractifs aujourd’hui, les produits d’épargne retraite ont été éloignés du produit de rente viagère imaginé au départ : ils offrent des possibilités de sortie anticipées et de sortie en capital. Si un nouvel étage de capitalisation collective est créé, il serait en revanche logique de revenir à une vraie logique de retraite, en ne prévoyant donc qu’une sortie en rente.

 

[P. Mayeur] Le RAFP est un modèle de la capitalisation collective obligatoire. Les cotisations versées parles fonctionnaires et l'employeur public alimentent un compte individuel mais les cotisants ne choisissent pas le profil de leur investissement. Le RAFP gère les placements et mutualise le risque.  La sortie ne peut se faire que sous forme de rente (à l’exception des très petites pensions).

Ce modèle de capitalisation collective obligatoire est susceptible d'avoir le moins d'opposition parce qu'il est plus protecteur que la capitalisation obligatoire individuelle. De mon point de vue, il n’y a pas forcément d'impact sur les bancassureurs. Lorsque le RAFP a été créé, par exemple, il n’y a pas eu de baisse des cotisations dans le dispositif facultatif Préfon (Caisse nationale de prévoyance de la Fonction Publique, proposant des produits d’épargne retraite à points pour les fonctionnaires).

A moyen et à long terme, cela pourrait même présenter un impact positif : la capitalisation individuelle se développera lorsque la capitalisation collective sera mise en place, par effet d’entraînement. Les bancassureurs et les assureurs sauront certainement s’adapter pour proposer des produits s’articulant avec ce système.

 

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Anne Bucher

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