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EMPLOI & FORMATION PROFESSIONNELLE

INTERVIEW

Jeux Paralympiques : Comment instaurer une dynamique durable pour l’emploi des personnes en situation de handicap ?|Entretien avec Christophe Roth, président de l’AGEFIPH

Le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 en France met l’accent sur la volonté d’organiser des jeux plus inclusifs et solidaires. Alors que la France a accueilli les Jeux Paralympiques pour la première fois, l’événement a été perçu par beaucoup comme une aubaine pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes en situation de handicap. De nombreuses initiative prennent forme en ce sens.

Cet événement inédit est l’occasion de faire le point sur l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap (PSH) en France et sur le chemin qui reste encore à parcourir. Pour ce faire, nous avons rencontré Christophe Roth, président de l’Agefiph et Secrétaire national pour l’accessibilité, l’égalité des chances et le logement au sein de la CFE-CGC.

 YCE : Pourriez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle de l'emploi des personnes en situation de handicap (PSH) en France ?

C.R. : Bien sûr. Selon le dernier observatoire de l'Agefiph, le taux de chômage des PSH en France a significativement baissé ces dernières années, passant de 19% avant la pandémie à 12% aujourd'hui. Cette tendance à la baisse est stable depuis à 2022. Actuellement, 1,2 million de PSH sont en emploi, dont plus de 850 000 dans le secteur privé. Cependant, il reste encore 460 000 PSH au chômage, avec un taux presque deux fois supérieur à celui de la population active générale.

 YCE : Quels sont les principaux axes d’action pour améliorer cette situation ?

C.R. : Nous avons mis en place une stratégie qui vise à accompagner les PSH à chaque étape : de la recherche d’emploi à l’intégration et au maintien dans l’emploi. Les indicateurs sont très encourageants, avec plus de 200 000 emplois disponibles, notamment dans des secteurs en tension comme le numérique, le transport et l’hôtellerie-restauration.

Pour favoriser l’emploi dans ces secteurs, de nombreuses innovations voient le jour, avec par exemple des initiatives comme l'inauguration de handitrucks pour les PMR et de bus aménagés permettant aux personnes sourdes et malentendantes de conduire des poids lourds et des bus.

Ensuite, il y a la politique de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) qui consiste à faire une photographie des PSH dans l’entreprise, sans inclure les parcours EA ou ESAT et avec une majoration pour les personnes de plus de 50 ans. Cette réforme s’accompagne de la mise en place de référents handicap dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés. Cela a amené des démarches de plus en plus inclusives dans les entreprises : bien qu’on ne soit pas encore à l’objectif des 6%, on constate tout de même que les choses changent.

A titre d’exemple, l’AGEFIPH accompagne de plus en plus d’entreprises dans leurs démarches : 2 961 entreprises sur l’année 2023, soit 6% de plus qu’en 2022. Nous réalisons également de plus en plus d’ateliers de sensibilisation des référents handicap, avec une hausse de 12% par rapport à l’année précédente.

 YCE : Quels sont les défis restants pour une meilleure inclusion des PSH dans le monde du travail ?

C.R. : Un de nos défis majeurs est de mieux faire connaître notre offre de services de compensation d’aménagements de postes pour faciliter l’exercice d’une activité professionnelle en répondant aux besoins des personnes (ex : fauteuil ergonomique, clavier braille, prestation d’appui spécifique pour trouble psychiques, cognitifs et mentaux, aménagement lié à une prothèse auditive etc.). Mieux faire connaître notre catalogue de services qui s’appelle Métodia pour outiller les entreprises dans leurs négociations de politiques handicap et leur mise en œuvre – des grands groupes aux TPE.

C’est central dans les parcours des PSH parce qu’aujourd’hui nous constatons que les démarches administratives sont trop lourdes, et peuvent être un repoussoir : les acteurs sont nombreux (MDPH, médecins, Agefiph, Fiphfp etc.) et les conditions sont parfois peu lisibles selon les situations particulières.

Il faut redonner de la lisibilité à l’ensemble de ce système mais pas seulement. Il est crucial de casser les cloisons et de mieux collaborer avec tous les acteurs, en passant par les services de santé au travail et les services de formation, les services de l’État qui coordonnent les politiques de handicap nationales, les collectivités pour agir sur la formation initiale et formation continue. Tout cela, on l’espère, sera facilité par le grand chantier qu’est France Travail pour mieux accompagner les parcours professionnels des personnes en situation de handicap.

Aujourd’hui et depuis plus de 5 ans la Défenseure des droits pointe que le handicap est la première cause de discrimination en France, avec un taux de saisines liées à des discriminations de PSH de plus de 20%. On voit également que les managers et encadrants ne sont pas forcément initiés à l’accompagnement sur le plan professionnel des personnes en situation de handicap. Un autre enjeu majeur est donc la formation de ces personnes pour bien faire connaître et sensibiliser sur les différents types de handicap et casser tous les stéréotypes notamment sur les handicaps psychiques, cognitifs et mentaux. Il est important de bien prendre en compte que la majorité des handicaps ne sont pas visibles, et cela concerne plus de 10% de la population française.

Il y a encore beaucoup de choses à faire bouger, et c’est le lot de tous les acteurs que j’ai cités qui doivent travailler ensemble pour y arriver. Sur ce point les Jeux Paralympiques ont leur rôle à jouer pour contribuer à accélérer l’évolution du regard sur les personnes en situation de handicap en mettant en avant les athlètes paralympiques pour encourager la prise en compte de la compétence, la prise en compte de la singularité, la prise en compte de la performance, la prise en compte de la différence de personnes qui réalisent des exploits internationaux.

Un dernier point qui me tient particulièrement à cœur est le déroulement de carrière des PSH. Seuls 6% des PSH sont à des postes à responsabilités, soit trois fois moins que dans le reste de la population où la proportion est de 18%. Il est important de reconnaître les compétences et l’expérience de PSH pour ne pas associer travailleur handicapé et emploi peu qualifié. Cela passe par l’exemple, en mettant en avant des carrières de personnes en situation de handicap et à fortes responsabilité mais avec un point d’entrée également par la formation initiale et continue, pour assurer son accessibilité partout et pour tous.

 YCE : Quels sont les leviers d'innovation pour favoriser l'insertion professionnelle des PSH ?

C.R. : L'innovation est aujourd’hui largement portée par le développement du numérique. En particulier, à la suite des enseignements tirés de la pandémie, beaucoup d’innovations en lien avec le développement de logiciels adaptés pour le travail à distance ont émergé.

De plus, des structures comme Clubhouse, Club Arihm, Messidor développent des méthodes d’accompagnements tels que le jobcoaching (ou emploi accompagné) pour les personnes ayant des troubles psychiques, cognitifs et mentaux.

Ces innovations servent à toute la société, il y a plein d’exemples d’innovations conçues pour des PSH et qui se sont largement démocratisés : la télécommande par exemple a initialement été inventée pour les personnes à mobilité réduite. Les bipeurs, avec quatre lignes SMS, ont été inventés pour la communication des personnes sourdes et malentendantes. Le presse-purée a été inventé pour les personnes ayant des problèmes moteurs.

 YCE : Comment les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 peuvent-ils contribuer à cette dynamique ?

C.R. : Les JO et JOP de 2024 sont une excellente occasion de changer les regards sur les PSH. Depuis 2019, l'Agefiph est partenaire des JO, et le nombre de salariés en situation de handicap travaillant pour l’organisation a été multiplié par cinq sur la période. Les Jeux apportent une sensibilisation pour faire évoluer le regard sur les PSH, ils permettent également de mieux faire connaître nos offres de compensation pour faciliter l’intégration des PSH dans le monde professionnel, ils ont un rôle de soutien dans le recrutement durable des personnes salariées et bénévoles impliquées dans les Jeux et qu’ils ont contribué à former.

C’est un moment de visibilité pour notre action et qui permet de faire passer les bons messages, nous serons par exemple présents au Club France pour accompagner les festivités et informer sur nos actions.

 YCE : Quel message souhaitez-vous faire passer aux entreprises et aux décideurs ?

C.R. : Il est essentiel de cesser de travailler en silos et de rassembler toutes les compétences et spécificités pour faciliter les démarches administratives et la compensation. Nous devons aussi nous attaquer aux préjugés et mieux accompagner les primo-entrants dans le monde du travail. Enfin, il faut préparer le retour à l’emploi des personnes après des maladies invalidantes et assurer la portabilité des aménagements de poste. En travaillant ensemble, nous pouvons créer une société plus inclusive et offrir à chaque PSH la possibilité de s'épanouir professionnellement.

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Crédit photo : Agefiph

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