EMPLOI & FORMATION PROFESSIONNELLE
Interview Actual Group Samuel Tual – Président du groupe Actual et Vice-Président du MEDEF
Interview YCE Partners réalisée dans le cadre du dossier en partenariat avec le CRAPS « Quel rôle des acteurs de l’intérim dans l’accompagnement vers le retour à l’emploi et quelle complémentarité avec France Travail ? »
Q :Pouvez-vous présenter en quelques mots le groupe Actual et son impact sur le marché de l’emploi ?
R : Actual est une entreprise fondée en 1991 à Laval, en Mayenne. Forte de plus de 30 ans d’existence, Actual s’impose comme un acteur de poids dans le domaine de l’emploi avec 600 agences réparties sur l’ensemble du territoire, y compris en Outre-mer. L’entreprise compte 4 000 collaborateurs et intervient aujourd’hui dans une diversité d’activités : intérim, placement, recrutement, accompagnement des demandeurs d’emploi et formation (initiale, continue, professionnelle).
Avec 1,6 milliards de chiffre d’affaires, nous nous positionnons parmi les cinq premiers acteurs nationaux du marché de l’emploi. Nous ambitionnons de devenir le leader français avec une approche singulière, fondée sur un ancrage territorial fort et des méthodes qui se distinguent des grands groupes leaders du marché, qui sont des sociétés étrangères et financiarisées, par une plus grande proximité et une souplesse d’action. Nous occupons aujourd’hui la 5ᵉ place sur le marché du recrutement, et sommes également le 3ᵉ opérateur en matière d’accompagnement des demandeurs d’emploi, soulignant notre engagement sur toute la chaîne de l’emploi et de l’insertion.
Les agences d’emploi, comme Actual et d’autres acteurs privés du secteur, ont un rôle déterminant sur le marché du travail pour favoriser l’intermédiation entre offre et demandes d’emploi. L’un des enjeux structurels du marché du travail aujourd’hui réside dans le décalage persistant entre les compétences détenues par les candidats et celles attendues par les entreprises. Cette inadéquation, souvent criante dans certains secteurs en tension, impose d’accompagner et de construire des parcours de formation adaptés pour les candidats pour leur permettre de rencontrer les besoins des entreprises.
Q : En quoi l’articulation avec France travail et les agences d’emploi peut-elle être un levier pour réduire les tensions sur le marché du travail ?
R : Il existe aujourd’hui près de 900 agences de proximité France Travail contre environ 13 000 agences d’entreprises de travail temporaires. Cette différence structurelle reflète deux approches complémentaires du marché de l’emploi. D’un côté, France Travail a accès à l’ensemble des demandeurs d’emploi, du fait de son rôle d’opérateur de service public. De l’autre, les agences d’emploi sont en contact permanent avec les entreprises, ce qui les rend très proches du terrain et des besoins concrets. La mission de France Travail et la nôtre est commune — rapprocher l’offre et la demande d’emploi — mais les modalités d’intervention diffèrent. Ce décalage opérationnel rend la collaboration d’autant plus nécessaire et souligne la complémentarité entre opérateur public et acteurs privés. Le partenariat signé entre Prism’Emploi et France Travail marque une étape importante de cette complémentarité : il souligne l’impératif de travailler ensemble et facilite l’accès des agences d’emploi aux candidats, quelle que soit la nature du contrat proposé (intérim, mission longue, CDI, etc.).
Un enjeu central réside dans la capacité à mieux partager l’information entre France Travail et les agences d’intérim pour répondre efficacement aux besoins des entreprises, en étendant la base candidats aux agences d’emploi. Cela implique de clarifier plusieurs points : quelles données peuvent être partagées ? Dans quelles conditions ? Comment garantir la confidentialité des informations, dans le respect du RGPD ? Par ailleurs, il existe également un sujet autour de l’identification de critères communs pertinents pour la sélection des candidats (compétences acquises, soft skills, projet professionnel, etc.). La convention-cadre récemment renouvelée par France Travail et Prism’Emploi prévoit justement l’organisation de rendez-vous réguliers entre les parties prenantes afin d’évaluer la faisabilité technique et juridique de ces échanges, d’en mesurer les effets concrets sur le terrain, et d’adapter progressivement les modalités de coopération pour permettre à terme une généralisation aux 2000 acteurs privés du secteur. L’objectif : fluidifier les parcours des demandeurs d’emploi et proposer des mises en relation plus pertinentes, en s’appuyant sur une meilleure interopérabilité des systèmes d’information. Pour les agences privées, ce dispositif est particulièrement intéressant car il permet de travailler plus les uns avec les autres, d’éviter les doublons dans les démarches commerciales, et surtout de faciliter la vie des entreprises et des candidats avec une notion de guichet unique.
Q : Quelles actions mettez-vous en place en direction des publics éloignés de l’emploi ?
R : Notre force réside dans l’investissement humain, grâce à une équipe de conseillers emploi et carrière qui accompagnent les publics éloignés de l’emploi dans des parcours personnalisés. La fierté d’ Actual et d’être le premier opérateur de l’intérim d’insertion. Le groupe présente un taux de sortie positive – débouchés sur des missions longues, d’au moins 6 moins – de plus de 75%. L’accompagnement est ici fondamental, car la posture du candidat (motivation, engagement, adaptabilité) joue un rôle décisif dans la réussite. L’objectif est de bâtir un parcours progressif, qui peut aller d’une mission dans une entreprise d’insertion (ETTI) jusqu’à un CDI intérimaire ou une embauche en CDI directement par l’entreprise utilisatrice.
Concernant les jeunes éloignés de l’emploi, des temps d’échange sont organisés pour leur faire découvrir les secteurs, expliquer la culture d’entreprise, et lever les auto-censures liées à la méconnaissance du monde du travail. Le CDI intérimaire, initialement conçu pour les intérimaires les plus fidèles, a été transformé en un outil de sécurisation pour les jeunes, combinant mission et formation. Près de 50 000 contrats de ce type ont été conclus à l’échelle nationale par les ETT. Toutefois, les modalités d’accès à ce dispositif demeurent encore complexes. Des discussions sont engagées pour en alléger les conditions, dans l’objectif d’en élargir l’accès et d’en renforcer l’impact.
Concernant les populations seniors, Actual a conçu des parcours de fin de carrière adaptés. Le mode mission est particulièrement intéressant puisqu’il permet de moduler le temps de travail. Aussi, la nature des missions réalisées par les seniors peut prendre la forme d’une transmission de compétences auprès des populations plus jeunes. Il peut également être observé que le report de l’âge légal de départ à la retraite a mécaniquement contribué à une hausse du taux d’emploi des seniors, la probabilité d’être en activité apparaissant étroitement liée à la proximité de l’âge du taux plein. Ce phénomène a en partie atténué les tensions sur cette tranche d’âge. Nous avons, par ailleurs, signé une convention interne permettant la semaine de 4 jours pour nos collaborateurs de plus de 55 ans, étant convaincus de la nécessité de pouvoir proposer à certaines populations spécifiques, un aménagement du temps de travail correspondant à leurs besoins.
Q : Quelles sont, selon vous, les conditions d’un partenariat efficace avec France Travail ?
R : France Travail doit jouer pleinement son rôle de facilitateur, en contribuant à la préqualification des candidats, en orientant efficacement vers les agences d’emploi, et en prescrivant davantage de formations. Par ailleurs, si certains évoquent l’idée d’embaucher davantage de commerciaux au sein de France Travail pour aller au contact des entreprises, nous souhaitons rappeler que cette force de terrain existe déjà dans les agences d’emploi privées. L’enjeu n’est pas de dupliquer les efforts, mais de travailler ensemble de manière complémentaire et coordonnée.
Nous plaidons pour une coopération opérationnelle, fondée sur la complémentarité : France Travail en mettant à disposition son vivier de candidats ; les agences d’intérim pour leur connaissance des besoins des entreprises et le placement de candidats de manière efficace et ciblé ; tout en simplifiant les démarches administratives pesant sur les demandeurs d’emploi.
Q : En tant que vice-président du Medef, comment percevez-vous les défis à venir du marché du travail ?
R : Depuis la crise sanitaire de la COVID-19, le marché du travail a connu une phase de forte reprise, marquée par une augmentation de la mobilité professionnelle. Aujourd’hui, le marché se resserre et les candidats sont plus hésitants à changer d’emploi, pouvant parfois amener à une augmentation des arrêts de travail et du mal-être au travail, il est donc important de relancer la dynamique en accompagnant les publics.
Une inflexion démographique majeure transforme en profondeur les dynamiques du marché du travail. Alors que, jusqu’ici, le solde entre les jeunes entrant sur le marché du travail et les seniors en sortant était positif, cette tendance s’inversera dès 2026. À partir de 2035, le marché comptera environ 200 000 actifs en moins chaque année. Dans ce contexte, le taux d’emploi devient un levier crucial non seulement pour soutenir l’activité économique, mais également pour garantir le financement de la protection sociale.
Parmi les réponses possibles à ces tensions, le Medef considère que l’immigration économique doit faire l’objet d’un véritable débat de fond. La question n’est pas seulement de savoir comment accueillir, mais aussi quelle place accorder à une immigration orientée vers l’emploi. Il s’agit de construire des parcours adaptés et sécurisés, à même de répondre aux besoins réels des entreprises. Au-delà des seuls leviers liés à l’offre de travail, le Medef insiste sur la nécessité de bâtir un environnement global favorable au développement économique dans les territoires. « Il ne peut pas y avoir de croissance durable si les entreprises ne peuvent pas se développer localement. » Cela suppose non seulement un accès fluide aux compétences, mais aussi des infrastructures adaptées pour les actifs. L’accès au logement, en particulier, demeure un frein majeur à l’emploi, notamment dans les zones tendues où les entreprises peinent à recruter faute de solutions de logement accessibles pour leurs futurs salariés. Dans cette perspective le Medef défend une croissance responsable et territorialisée, passant par une politique d’infrastructures ambitieuse, des logements en quantité suffisante, et des solutions concrètes pour éviter que les difficultés de recrutement ne poussent certaines entreprises à prendre des décisions radicales — comme la délocalisation voire la fermeture — faute de compétences disponibles localement.
Lien vers le magazine du CRAPS (dossierp. 102-122) : https://www.thinktankcraps.fr/wp-content/uploads/2025/07/MAgazine-juillet-2025-web-3007-15h00.pdf