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FINANCEMENT ET DONNÉES SOCIALES

INTERVIEW

E. Humbert-Bottin (GIP-MDS) : « les données sociales sont un outil puissant de performance et de protection »

Les données sociales peuvent-elles être utilisées pour réduire les inégalités, lutter contre la précarité et éviter le pire en temps de crise ? Directrice générale du GIP-MDS, Elisabeth Humbert-Bottin revient sur les trois mois écoulés et nous livre ses convictions sur le potentiel des données sociales. Et qui mieux qu’elle pour cela ? Mieux connu des entreprises sous le nom de sa marque Net-Entreprises, qui constitue un outil collectif pour les organismes de protection sociale comme l’ACOSS, L’Assurance maladie et retraite, le GIP-MDS est l’architecte de la déclaration sociale nominative (DSN) et du prélèvement à la source : il œuvre pour simplifier la déclaration et la collecte des données sociales et dessine, avec tous les acteurs de la protection sociale et désormais du travail et de l’emploi, les nouveaux usages de ces données capitales.

/La déclaration sociale en temps de crise

Chômage partiel, arrêts de travail pour garde d’enfant, report des cotisations sociales… Comment s’est déroulée la mise en œuvre de ces mesures d’urgence, qui ont eu un impact majeur sur les déclarations des employeurs ?

« Les décideurs des organismes concernés et de la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) se sont mobilisés très rapidement, entre le 17 mars et aujourd’hui, dans un groupe virtuel pour rechercher les meilleures options afin de relayer les informations et consignes déclaratives aux entreprises et construire ensemble la manière de faire. D’ailleurs les éditeurs, les experts comptables et les représentants des entreprises qui siègent au Conseil d’administration du GIP ont remercié les équipes du GIP et des organismes de protection sociale qui les entourent, pour avoir su donner les bonnes informations dès qu’elles étaient connues. La crise a révélé une forte capacité à travailler ensemble rapidement et efficacement quand c’est nécessaire.---En tout cas les journées ont été longues ! Une fois encore, nous constatons que l’équipe du GIP est très mobilisée pour aider du mieux possible la protection sociale à répondre à ses enjeux. Et ça c’est une fierté. »

Le cadre déclaratif s’est-il révélé suffisamment souple pour s’adapter rapidement aux nouveaux besoins ?

« Oui. Un exemple : nous avons réussi à mettre en place avec l’Assurance maladie une application sécurisée en 15 jours pour la déclaration de la garde d’enfants liée au Covid-19. L’Assurance maladie a développé le contenu et nous le contenant, les conditions d’accès et de sécurisation de l’application, et nous avons mis en place une solution permettant aux entreprises de déclarer en masse plutôt que salarié par salarié, ce qui aurait été ingérable pour les plus grandes d’entre elles. »

Les consignes ont-elles été convenablement suivies par les entreprises déclarantes ?  

« Indéniablement, si l’on en croit les données d’utilisation de l’application (mentionnée plus haut) et les éléments contenus dans la DSN. Toutefois il est encore un peu tôt pour tirer un bilan définitif de la crise sur ce plan. »

Comment avez-vous communiqué ces consignes ?

« Nous avons publié des fiches-consignes bien nommées sur le portail Net-Entreprises. Ces fiches ont été co-construites avec les organismes de protection sociale dans des délais souvent très courts. En parallèle, chaque semaine, nous avons envoyé les nouveautés par mail à tous ceux qui émettent une DSN avec les liens vers les fiches-consignes pour leur permettre d’adapter correctement leurs déclarations. Enfin, nous avons échangé largement avec les éditeurs de paye pour que leurs équipes de développement puissent réaliser les ajustements nécessaires. »

Aucun accroc à signaler dans la période ?

« Pas vraiment. Toutefois dans tout organisme composé d’humains, l’erreur est possible. Il faut donc donner l’information, s’assurer qu’elle soit bien interprétée par les parties-prenantes et surveiller dans le même temps les informations qui arrivent par d’autres canaux pour les rectifier si nécessaire en bonne intelligence avec les émetteurs. Un des principaux enjeux de cette crise a été non seulement la conception de solutions mais leur communication. »

Quel est l’impact de ces travaux imprévus sur les autres projets du GIP ?

« Les ambitions ont été réévaluées pour l’ensemble des acteurs, depuis les émetteurs jusqu’aux destinataires. Nous sommes en train d’atterrir avec la DSS sur la feuille de route 2021, un peu moins ambitieuse que ce qui était prévu, mais ambitieuse tout de même. Par exemple la prise en compte du mi-temps thérapeutique dans le périmètre DSN et l’entrée en DSN des caisses de congés payés ont été reportées en 2022, mais la majorité des projets n'ont pas été impactés. »

/Données sociales et « monde d’après »

Pourriez-vous nous donner votre définition de la notion de « données sociales » ?

« À mon sens, ce sont les données qui rendent compte du versement d’un revenu, l’expliquent et le contextualisent : salaire mais aussi revenu de complément, comme les prestations familiales, et revenu de remplacement comme la retraite. »

La crise a souligné l’extrême vulnérabilité de certaines catégories de la population. Selon vous, les données sociales pourraient-elles être utilisées pour automatiser le versement des prestations et diminuer le non-recours, qui est un facteur d’aggravation des inégalités ?

« Non seulement elles peuvent l’être mais elles le sont déjà en partie et ceci dans le cadre d’un projet géré par la DSS et basé sur un système de gestion des ressources. Des projets très concrets sont en cours à ce niveau. Il existe aujourd’hui deux axes principaux d’exploitation des données sociales. D’une part, elles permettent de savoir si une personne a un salaire ou un revenu inférieur à un certain seuil, ce qui permet en retour d’envisager les prestations prévues pour corriger ces inégalités sociales. D’autre part, les données sociales permettent de savoir, à l’ouverture d’un droit, quels sont les autres revenus de la personne de manière à ajuster les prestations servies.

---Un exemple : la revalorisation différenciée des retraites qui s’est opérée cette année. À partir de 2020, les retraites ne sont pas revalorisées du même pourcentage pour tout le monde, mais en fonction du montant des pensions : moins la pension est élevée, plus la revalorisation est importante. Cela a été rendu possible par l’existence des systèmes DSN pour les salaires, PASRAU (Passage des revenus autres) pour les revenus autres que les salaires, et du DRM, le Dispositif d’exploitation des Ressources Mensuelles, qui doit permettre petit à petit un calcul automatisé et contemporain des prestations attribuées sous conditions de ressources.

---Il existe encore un axe d’exploitation des données sociales : l’information individualisée des assurés. C’est tout l’objet du portail « Mes droits sociaux », alimenté par les données issues de la DSN et de PASRAU, qui donne accès à chacun à ses droits potentiels, à un simulateur, etc. »

Selon vous, aurait-on intérêt à exploiter les données sociales pour analyser les effets des mesures d’urgence ?

« Bien sûr, pour connaître par exemple la proportion de ceux qui ont bénéficié du chômage partiel et subissent une fin de contrat de travail dans les mois qui viennent. »

Existe-t-il des freins à l’utilisation des données sociales ? Le RGPD par exemple ?

« La protection des données personnelles n’est pas en cause il me semble. L’anonymisation est bien maîtrisée et par conséquent les risques liés à cet usage des données sociales est quasiment nul. Il existe d’ailleurs de nombreux projets d’open data reposant sur la DSN à ce jour. Non selon moi la limite vient essentiellement du cloisonnement des périmètres d’exploitation des données. Toutes ces données sociales sont récupérées par morceaux à des fins statistiques par l’INSEE, la DARES, l’ACOSS, l’Assurance retraite, Pôle Emploi, etc. qui les exploitent indépendamment et différemment. La rationalisation et la mutualisation seront sans doute des axes de travail dans les années à venir. »

Vous mentionnez l’open data : à votre connaissance, les données sociales ont-elles été exploitées par des acteurs privés ?

« Je ne saurais le dire. En revanche le GIP a proposé de mettre en place un ensemble de services aux entreprises reposant sur l’exploitation des données issues de la DSN. Par exemple un indicateur de parité hommes-femmes dans l’entreprise calculé de manière homogène en se basant sur les données DSN pour permettre la comparaison. D’autres pistes pourraient être envisagées afin de soutenir les politiques publiques, comme un indicateur de recours à l’apprentissage pour encourager le développement de l’apprentissage en France, qui constitue un enjeu majeur pour les années à venir. Des outils pour faciliter le recrutement également, qui fourniraient de précieux renseignements aux entreprises sur les caractéristiques réelles de leurs cibles de recrutement : salaire, secteur d’activité, implantation géographique, etc. En résumé : beaucoup de possibles, mais à date un manque de coordination entre les récepteurs des données sociales pour organiser au mieux ces réponses de manière collective. »

Alors que la crise sanitaire semble toucher à sa fin, une crise économique s’annonce. Bruno Lemaire parle de plusieurs centaines de milliers de destructions d’emplois dans les mois qui viennent… Selon vous, peut-on limiter les destructions d’emplois et soutenir intelligemment les entreprises qui en ont besoin en exploitant les données sociales ?

« La question ne relève pas de ma compétence. Mais en tout état de cause, l’analyse de ces données servira certainement d’appui à la mise en œuvre de la loi qui devrait être publiée fin juillet pour encadrer les exonérations complètes de cotisations, les aides au paiement des cotisations et le rééchelonnement des échéances de paiement. De même, on peut imaginer des actions pour protéger l’emploi en s’inspirant de ce qui est prévu au titre du bonus-malus assurance chômage, en situant des indicateurs de comportement plus ou moins adapté pour mieux cibler les aides et gérer les baisses de charges. »

Un mot de la fin ?

« Je pense que l’usage des données sociales est une des clés pour améliorer la performance des entreprises, la protection des droits des salariés et l’accompagnement des situations difficiles au plus près. C’est une force que nous devons continuer à exploiter intelligemment ensemble dans les années à venir. Et le GIP se tient à disposition des organismes de protection sociale et des entreprises pour les appuyer dans ces usages. »

Lucas Schneider, 08.07.2020

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